Regards croisés

Pénuries et hausses de prix : comment faire face ?

Rédigé par Rémi Voirin,

Paru dans Gesec Magazine 256

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Six facteurs qui expliquent les fortes tensions actuelles

Les hausses de prix des matières premières et les pénuries qui affectent certains équipements sont les résultantes de plusieurs facteurs. Certains sont liés aux conséquences de la pandémie de Covid, d’autres aux incertitudes qui pèsent sur notre monde : dérèglement climatique, transition écologique, tensions géopolitiques…

  1. Une reprise de la demande plus forte que prévu
    La crise liée à la pandémie a été suivie d’une reprise vigoureuse de l’économie dès juillet 2020 en Chine et à l’automne aux États-Unis.
  2. Une offre contrainte par la pandémie
    La pandémie est loin d’être terminée. De nombreuses unités de production sont toujours en sous-capacité et des ports restent fermés.
  3. De demandes liées à la transition écologique
    L’Europe et les États-Unis ont lancé des plans de relance « verts » qui exercent une forte pression sur les métaux de l’électrification.
  4. Une augmentation des accidents climatiques
    Sécheresses, inondations, ouragans ont des effets multiples, sur les produits agricoles, l’énergie, la production industrielle…
  5. Un zeste de spéculation
    Anticipant les pénuries et les hausses de prix sur certaines matières premières comme le bois ou l’acier, les investisseurs ont favorisé l’envolée des cours.
  6. Un engorgement des chaînes logistiques
    Ports saturés, pénurie de conteneurs vides, manque de porte-conteneurs ont entraîné une flambée des tarifs de frêt maritime.
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Visuel d’illustration du Gesec Magazine

Depuis plusieurs mois, fabricants, distributeurs et adhérents sont confrontés à des difficultés d’approvisionnement et à une flambée des coûts. Ils nous présentent les actions qu’ils ont mises en place pour sécuriser leur activité. Philippe Chalmin, spécialiste des marchés des matières premières, nous éclaire sur les ressorts de cette crise.

C’est une situation plutôt paradoxale : les PME du bâtiment – dont celles du Gesec – sont inquiètes pour 2022 alors qu’elles ont réalisé une excellente année 2021 et qu’elles affichent un carnet de commandes bien rempli. Leur préoccupation ? Les difficultés de recrutement, bien sûr, qui contraignent certaines d’entre elles à refuser des chantiers. Mais surtout les difficultés d’approvisionnement et les hausses de prix qui en découlent. «  Les prix augmentent, souvent sans prévenir et dans des proportions inconnues jusqu’alors  », constate Pascal Texereau, adhérent et administrateur du Gesec (lire son témoignage ci-dessous). C’est vrai des métaux en particulier, la tôle et l’acier, ont connu une forte augmentation, entraînant parfois le doublement du prix des produits. «  La difficulté, dans nos métiers, est que l’ensemble des produits que nous mettons en œuvre est impacté : cuivre, fer, acier, galva, plastique, électronique…  » A cela s’ajoute le prix de l’énergie, qui renchérit les coûts de production et de déplacements.

La plupart des marchés de matières premières ont passé leur pic, les prix devraient retomber.

Philippe Chalmin

Économiste, président de l’institut CyclOpe

Comment expliquer les tensions actuelles ?
Pour Philippe Chalmin, spécialiste des marchés des matières premières (lire son analyse ci-dessous), elles sont d’abord dues à l’effet conjugué d’une reprise plus forte que prévu, qui a engendré une forte demande sur les matières premières et l’énergie, et d’un engorgement des chaînes logistiques, lié principalement à la pandémie de Covid 19. Mais pour l’économiste, cette crise révèle surtout que «  nous sommes entrés dans un monde marqué au coin de l’instable  ». En effet, à l’aube de 2022, les inconnues ne manquent pas : la pandémie flambe à nouveau, l’inflation est de retour, la reprise s’essouffle déjà en Chine et aux États-Unis, les tensions s’exacerbent entre les grandes puissances, les effets du réchauffement climatique commencent à se faire sentir, etc. Or, on le sait, les marchés n’aiment pas l’incertitude…

Quelles conséquences pour l’écosystème du Gesec ?
Nous avons posé la question à des adhérents et des partenaires du Gesec à l’occasion de la Convention annuelle (lire l’encadré ci-dessous). La moitié des fabricants qui ont répondu à notre enquête ont déclaré avoir subi une baisse de leur capacité de production, avec à la clé des conséquences sur les délais de livraison (75 %) et les prix de vente (94 %). Conséquences qui ont touché par contrecoup la plupart des distributeurs (69 %), lesquels ont dû revoir leurs délais de livraison (69 %) et les prix de vente (77 %). Prévoyants, de nombreux adhérents ont anticipé les pénuries et les hausses de prix et gonflé leurs stocks dès le printemps. Pour cela, ils n’ont pas hésité à puiser dans leur trésorerie, utilisant parfois leur PGE, comme l’a fait Dominique Le Saint, gérant de l’entreprise Sanit Confort à Plérin, dans les Côtes-d’Armor (lire son témoignage ci-dessous). «  Depuis six mois, notre souci est de sécuriser le prix et l’approvisionnement des produits achetés  », renchérit Pascal Texereau, qui a ventilé son portefeuille de commandes en fonction des capacités de stockage et de la nature des contrats passés avec les fabricants et les distributeurs.
Côté négoce, on a aussi augmenté les stocks, mais on a surtout cherché à affiner le pilotage des approvisionnements et à proposer des solutions de substitution en cas de produits manquants, comme l’explique Christophe Bolot, Directeur Général du Comptoir Général de Robinetterie (lire son témoignage ci-dessos). Une réaction salutaire qui a permis au distributeur de continuer à tenir sa promesse de livrer ses clients à J +1.

Une crise qui va laisser des traces

Dans l’ensemble, ces problèmes d’approvisionnement n’ont pas trop désorganisé les chantiers de nos adhérents. Ils sont en effet peu nombreux à avoir demandé des prolongations de délais d’exécution auprès des maîtres d’ouvrage. En revanche, les hausses de prix ont pu provoquer des tensions avec les clients. La renégociation des tarifs indiqués dans les devis ne se passe pas toujours bien. Rares sont les clients qui acceptent de verser des indemnités pour compenser les hausses de prix. Les adhérents ne se font pas trop d’illusions à ce sujet. Seuls 14 % des répondants de notre enquête disent avoir effectué des demandes indemnitaires ou des prolongations de délais. Et parmi eux, 80 % n’ont pas obtenu d’indemnités ou de modifications de contrat actant une revalorisation des prix. Cette situation a conduit nombre d’adhérents à réduire la durée de validité de leurs devis, voire à sortir de certains marchés risqués.

À quoi faut-il s’attendre pour 2022 ?
Pour Philippe Chalmin, les tensions logistiques devraient se maintenir au moins jusqu’au premier semestre, mais les prix des matières premières, qui ont atteint leur point haut, devraient baisser. Néanmoins cette crise laissera des traces. « Tout le monde révise ses manières de produire et de s’approvisionner », constate Christophe Bolot. Une tendance que confirme notre enquête : 44 % des fabricants répondants envisagent d’augmenter leur capacité de production et 6 % d’en relocaliser une partie ; et 69 % des distributeurs réfléchissent à augmenter leurs stocks et leurs capacités logistiques.

Les tensions logistiques ne se résorberont pas avant 2022, les prix devraient retomber, mais les incertitudes sanitaires et géopolitiques demeurent.

Philippe Chalmin

Économiste, président de l’institut Cyclope.

Spécialiste des marchés des matières premières, Philippe Chalmin est intervenu à la Convention annuelle du Gesec qui s’est tenue à Paris le 23 septembre dernier. Cet article est une synthèse de la conférence qu’il a prononcée à cette occasion.
Nous devons prendre conscience que nous sommes entrés dans un monde marqué au coin de l’instable, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, la pandémie est toujours là, comme l’apparition du variant Omicron vient nous le rappeler. Ensuite, même si on a enregistré une reprise économique plus forte qu’attendu, quelques signes d’essoufflement apparaissent en Chine et aux États-Unis. Par ailleurs, on s’inquiète d’un retour possible de l’inflation. Autre source d’instabilité, les tensions sur les marchés mondiaux liés à la flambée des matières premières et de l’énergie, ainsi qu’aux goulots d’étranglement logistiques. Enfin, la scène géopolitique, avec notamment le désengagement américain et la montée en puissance de la Chine et de la Russie, est toujours aussi complexe. Autant d’éléments qui rendent l’avenir incertain.

Une reprise mondiale vigoureuse

Après un arrêt brutal de l’économie lié à la pandémie, la demande est repartie fortement en Chine dès juillet 2020, à l’automne 2020 aux États-Unis et en 2021 en Europe. Avec un taux de croissance de 5 à 6 %, on assiste à un net rattrapage de l’activité. Un optimisme confirmé par les bourses, qui ont déjà oublié le décrochage de l’année 2020.

… y compris en France

Notre pays rebondit fortement – la stratégie du quoi qu’il en coûte porte ses fruits (3). Mais le sursaut industriel tarde. La production industrielle n’a toujours pas retrouvé le niveau d’avant 2008. Heureusement, le bâtiment se porte mieux, si l’on en juge le net rebond des permis de construire depuis la mi-2020.

Un retour de l’inflation ?

Depuis le début de l’année, on assiste à une hausse importante des prix dans les pays industrialisés. C’est surtout vrai aux États-Unis avec un taux d’inflation supérieur à 6 %, mais le mouvement gagne l’Europe, avec un taux de 4,9 % pour la zone euro. Ces hausses de prix sont dues aux tensions sur le marché du travail, la logistique et les matières premières.

Des accidents climatiques plus nombreux

Sécheresses, cyclones, vagues de froid : le dérèglement climatique est là. Il entraîne des hausses de prix des produits agricoles, mais a aussi un impact sur l’énergie (hausses du cours du gaz liées au cyclone Ida qui a touché le golfe du Mexique) et sur les métaux (sécheresse au Yunan, en Chine, qui a réduit les capacités hydroélectriques nécessaires à la production de l’aluminium).

Un engorgement des chaînes logistiques

De nombreux ports sont encore saturés, plus de 300 porte-conteneurs attendent au large d’être déchargés. Par ailleurs, on constate une pénurie de conteneurs vides et un manque de navires. Résultat : une flambée des taux de fret maritime et l’allongement des délais de livraison.

En 2022, on reste prudent !

Les tensions logistiques devraient se maintenir au moins jusqu’à mi-2022. S’agissant des matières premières, la plupart des marchés ont passé leur pic et les prix devraient retomber. Cependant, les incertitudes demeurent. Sur le plan sanitaire d’abord, avec l’apparition du variant Omicron et la reprise de l’épidémie en Europe. Sur le plan climatique ensuite : l’hiver sera-t-il ou non rigoureux ? Et enfin sur le plan géopolitique : les relations de l’Europe avec la Russie sont de plus en plus tendues (situation à la frontière de l’Ukraine). Autant de bonnes raisons de rester prudent en 2022.

Notre organisation reposait jusqu’à récemment sur des livraisons sur chantiers à date fixée. Depuis six mois, notre souci est de sécuriser le prix et l’approvisionnement des produits achetés. Cela nous a conduits à établir un mix en fonction de nos capacités de stockage et de nos partenariats avec les distributeurs ou fabricants. Nous avons ainsi des commandes anticipées à prix fixes avec des livraisons programmées s’échelonnant jusque juin 2022, des commandes à prix fixes avec stockage et livraisons gérées par nos distributeurs, et des commandes complémentaires avec des volumes supérieurs et un stockage dans nos dépôts.
La plus grande difficulté en ce moment est la négociation des prix avec nos clients. S’agissant des chantiers publics, les contrats comportent des clauses fixes, pratiquement non négociables. Toutefois, nous avons obtenu quelques indemnités compensatoires, mais largement inférieures à la hausse de nos coûts.
Sur les chantiers privés avec un temps de production long (type logements collectifs neufs), le client refuse quasi systématiquement de renégocier les prix. Face à cette situation, j’ai été amené à prendre plusieurs décisions.

  • Les prix marchés ne s’appliquent plus aux travaux supplémentaires ou travaux modificatifs (en marchés publics ou privés).
  • Nos devis ne sont valables qu’un mois (au lieu de deux auparavant) et sont automatiquement réévalués si la décision du client tarde.
  • Nous sortons actuellement de certains marchés à risque (type ventilation avec des poids de gaine importants, dont le prix a augmenté de près de 70 % en 12 mois glissants).
  • Dans la mesure où notre carnet de commandes est bien garni, nous choisissons nos clients, nos chantiers, et nous abordons le besoin de nos clients en rediscutant les prestations avec lui dans le but de trouver un accord gagnant-gagnant, parfois avec l’appui du fabricant.

Que nous réserve l’avenir ? Nous sommes avisés de nouvelles augmentations pour début 2022. Cependant, plusieurs faits ou prévisions me laissent penser que les courbes devraient redescendre:

  • Les matières premières sont sur des cours hauts et commencent à se stabiliser.
  • De nombreux acteurs ont fait des stocks de précaution, amplifiant ainsi les pénuries et les augmentations des prix. Des produits commencent à être remis sur le marché.
  • Les économistes annoncent un retour de l’inflation mais uniquement jusqu’à mi-2022.
  • Certains clients diffèrent certains dossiers en attendant que la surchauffe du bâtiment s’estompe. Les prix de nos fabricants et distributeurs deviendront plus sages lorsque la demande s’affaiblira.

Distributeur en robinetterie et accessoires pour les professionnels du génie climatique, du logement et de l’industrie, CGR propose plus de 26 000 références sur son site marchand et dans ses agences de proximité (DBS Drive). Il s’engage à livrer en 24 h dans toute la France.

Comment gérez-vous cette période avec vos fournisseurs ?
Anticipant les pénuries, nous avons bien sûr gonflé nos stocks, mais nous avons surtout mis en place un pilotage fin de nos approvisionnements. Notre objectif : continuer à honorer notre promesse client, à savoir livrer à J+1. Et nous y sommes parvenus dans 98 % des cas. Pour cela, nous avons dû faire preuve d’une agilité encore plus importante que d’habitude. Nous sommes passés d’un point « appro » mensuel à un point hebdomadaire ; nous avons remonté la chaîne de production des fabricants ; renforcé les échanges avec les acteurs de la chaîne de valeur (commerce, approvisionnement, logistique…) ; anticipé les difficultés : c’est le nerf de la guerre. Je dis souvent à mes équipes : « Ne pas prévoir, c’est déjà gémir ! » Ainsi, pour les gammes de produits affichant moins de trois mois de couverture, nous avons tout de suite cherché des solutions alternatives.

Et avec vos clients ?
Nous jouons la transparence. Notamment en indiquant des délais de livraison fiables sur notre site marchand pour qu’ils puissent s’organiser ; en les prévenant en cas de rupture d’approvisionnement et en leur proposant des produits présentant des caractéristiques équivalentes. Durant cette période, nous surveillons aussi de très près notre taux de service et les « irritants » pour pouvoir ajuster notre réponse au jour le jour.

Avez-vous modifié votre politique tarifaire ?
Là aussi, nous jouons la transparence. Nous avons mené d’âpres négociations avec nos partenaires afin de limiter les hausses et ne répercuter que celles que nous avons réellement subies (hors contrats cadres) en prenant soin de les expliquer. Et nos clients, connaissant la situation, les ont acceptées, d’autant que nous restons dans les prix du marché.

Comment voyez-vous les prochains mois ?
Je ne vois pas de retour à la normale avant 9 à 12 mois. Mais au-delà de cette crise, je constate que tout le monde révise ses manières de produire et de s’approvisionner face aux risques qui pèsent sur notre secteur : pression pour décarboner, trop forte dépendance à la Chine… Dans ce climat d’incertitude généralisé, nous devons plus que jamais être agiles.

Face au risque de pénuries, nous avons augmenté nos stocks dès le printemps afin de sécuriser les livraisons et rester en adéquation avec les prix indiqués dans nos devis. En cuivre, par exemple, j’ai fait rentrer de quoi tenir un an. J’ai aussi loué des locaux supplémentaires pour augmenter notre espace de stockage et utilisé le PGE souscrit en 2020 pour financer ces approvisionnements exceptionnels. Ce PGE, on a bien fait de le conserver…
Les fournisseurs jouent le jeu dans l’ensemble. Ils nous préviennent des augmentations à venir et nous proposent d’autres références en cas de rupture d’approvisionnement. Nous essayons de maintenir le stock chez eux dans la mesure du possible.
Côté clients, nous jouons cartes sur table. Certains se montrent compréhensifs et vont jusqu’à prendre en charge des approvisionnements de précaution. D’autres sont plus raides. Tel ce maître d’œuvre qui nous a prévenus que les prix indiqués dans le devis – pour une réalisation de chantier à l’été 2022 – ne pourraient être revus à la hausse… Nous sommes aussi prudents : nous avons ainsi réduit la durée de validité de nos devis de 2 mois à 30 jours. Nous n’avons pas eu besoin de demander une prolongation de délais à ce jour. En revanche, nous avons obtenu des réponses favorables à des demandes indemnitaires pour quelques chantiers, pouvant aller jusqu’à 10 % de la valeur du marché signé initialement, valeur correspondant à des devis réalisés en 2020.
Bien que le carnet de commandes soit exceptionnellement haut pour 2022, nous manquons de visibilité pour les prochains mois. Certains chantiers sont bloqués, retardés ou revus à la baisse. Nous espérons cependant que la solidarité entre tous les acteurs de la chaîne de valeur résistera à l’épreuve du temps…

Avec le soutien des partenaires :


Aldes, Atlantic, Cedeo, CIAT, France Air, GRDF, PUM

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